Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


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mercredi 7 mai 2008

Ténèbres (fin) :créer c'est tuer



TENEBRES (fin)





Peter est maintes fois représenté devant un miroir ou une surface vitrée et réfléchissante (à l'aéroport, dans le salon ou la salle de bain de son appartement...) ; il semble vouloir vérifier la permanence et l'immuabilité, le côté neutre et inchangé, de son image ; Dario Argento en profitant pour annoncer et signifier par cette double représentation (l'homme et son reflet),la double personnalité de son héro.


Et, si le réalisateur choisit de "dédoubler" son criminel et de l'incarner dans deux personnages successifs, c'est aussi pour mieux brouiller les pistes et notre perception des choses.
Ainsi voit-on d'abord l'oeil (et derrière lui, le rêve obsédant) de Peter en l'assimilant à celui du tueur (Cristiano Berti).
Ainsi assiste-t-on, ensuite, avec Gianni (et comme lui) au meurtre de Berti, sans saisir que celui qui a parlé et avoué les crimes (on entend ces mots : "Oui, c'est moi ! Je les ai toutes tuées !") était bien Berti lui-même et non pas son assassin (et successeur : Peter Neal !)

Une fois de plus, le film nous pose comme spectateurs du trauma et d'un meurtre décisif, sans que nous en détenions les clés. Une fois encore, nous ne saisirons pas le détail qui aurait pu nous livrer la bonne lecture des choses (ici, un gros plan sur la bouche (et les aveux) de Berti).



L'illusion et la manipulation sont perpétuellement de mise (celles des personnages et celles du spectateur).

Lors de l'assassinat de Cristiano Berti, Peter feint d'avoir été assommé alors qu'il s'est lui-même blessé le crâne à coups de pierre ; plus loin, il fait croire à tout le monde qu'il quitte finalement Rome (pour échapper à un tueur qui n'est autre que lui-même !) ; à la fin, il simule un suicide en s'égorgeant avec un rasoir de pacotille (un accessoire de cinéma, avec fausse lame et jets de faux sang activés par un bouton sur son manche !).


Dès son générique faussement gothique avec livre, gants noirs et bucher en rappels trompeurs d' "Inferno", l'oeuvre indiquait d'entrée ses partis-pris menteurs et ses apparences illusoires.


Ainsi, au tout début, ce coups de fil "piègé" à l'aéroport, manigance utilisée par Jane pour se venger de celui qui l'a délaissée ; ainsi, la réalité faussée et les illusions du monde de la télévision et de l'information (images et retransmissions modifiées des personnes et des faits ; Altieri, qui croise une célébrité sur un plateau, qu'elle trouve différent de ce qu'elle pensait (elle n'en connaissait jusque là que son image !)) ;
Illusion totale de la sécurité au milieu de la foule ou dans l'intérieur des maisons et des appartements ;



Illusion d'une menace dans un parking souterrain où Anne parait inquiétée à tort ; "cabinet secret" dans le bureau de Bulmer, où Jane se dissimule ; meurtre d'Altieri pris pour celui d'Anne ; illusion d'un rêve qui se révèle, en fait, absolument réel et le souvenir obsédant d'un affront puis d'un meurtre.


Et, à la progression de ce rêve volontairement étrange et connoté, et à-priori, totalement indépendant, correspond la progression de l'intrigue et le cheminement, la "métamorphose" de Peter (victime puis assassin).


La première partie du songe, à la fois onirique et sexuelle, surgit dans la première partie du film avec pour contrepoint les crimes "sexués" de Cristiano Berti ; les deux segments suivants, où l'on assiste au meurtre de la fille aux chaussures rouges, arrivent sur la fin, lorsque Peter Neal est devenu le nouvel assassin (c'est également lui le tueur du rêve).


De la même manière, les couleurs très marquées de cette séquence (blanc et rouge, puis bleuté et rose) renvoient à la palette chromatique de toute l'oeuvre, où tranche la prédominance du blanc (intérieurs, vêtements, maquillage ...) associée au rouge du sang et des détails (lèvres, chaussures, voitures, téléphone ...) et au bleu et au rose en filigrane (jupes ou corsages des personnages secondaires, accessoires...)

Et le style du film, hyperréaliste et très contemporain, ses décors urbains et graphiques, tout en lignes droites, en applats et en superpositions, son ton sec, sérieux et en même temps décalé, sa mise en scène voyante et volontairement artificielle, sa photographie soignée et son esthétique chic et choc de magazine à papier glacé..., tout cela, finalement gangrené par l'énigme troublante du rêve, débouche sur une oeuvre profondément surréaliste.



Aux entrelacs de son intrigue qui manie les clichés autant qu'elle les bouscule, aux rappels thématiques, à l'interpretation figée de ses "marionnettes", Dario Argento associe un jeu appuyé des répétitions et des symboles qui renvoie tout à la fois à la poésie et à la psychanalyse (les miroirs ; les accessoires très fétichisés (chaussures rouges, chapeau de Bulmer ...) tout comme les armes (rasoir, hache...) ;



les clés perdues ou oubliées (celles du sous-sol de Berti, celles de la voiture de Gianni) ; le livre ; le chien ;











les couleurs des vêtements ; le motif récurrent du verre brisé (qui accompagne, introduit ou achève les scènes de meurtre) ; ces mains "détachées de leur corps" (une main tenant un revolver, tranchée d'un coups de hache ; ces mains coincées dans la fermeture d'une porte (le clochard qui agresse Elsa ; le tueur qui poursuit Maria) ; les mains du psychopathe gantées de noir ...))


Et le montage s'articule souvent autour d'un système de références et d'échos : à la scène figurant ce café où l'amie de Tilda la quitte pour finir la nuit avec un homme, succède celle où Peter et Anne rentrent semblablement d'une soirée ; à l'image d'un robinet qui coule chez l'assassin (sous lequel il rince la lame ensanglantée de son rasoir) vient répondre la scène où Peter Neal se fait rétablir l'eau chaude ; et lorsque l'écrivain reçoit sa deuxième lettre anonyme (une maxime latine) et qu'il comprend que le meurtrier a encore sévi , la séquence suivante nous transporte à la morgue où viennent d'être inspectés les corps des victimes ...


Et l'histoire n'épargne personne puisque, au final, tout le monde meurt (excepté Anne) !

Le film se clôt sur ses pleurs et ses hurlements hystériques.


Les inspecteurs viennent d'être décimés à coups de hache par un Peter Neal désormais dément, et l'écrivain, lui-même, après un suicide spectaculaire et simulé, a fini empalé sur la pointe d'acier d'une sculpture.
Le générique de fin survient, noir et définitif.


Mais les ténèbres dont il était question représentaient, bien évidemment, celles, insondables, de l'âme tourmentée et malade d'un tueur - le tueur des romans de Peter Neal, mais surtout, celles, coupables, contaminées, traumatisées à jamais, de l'esprit de l'écrivain, du créateur lui-même ; le Mal et la noirceur se dissimulant, non pas dans les obscurités inquiétantes de la nuit, pas davantage dans des lieux infernaux ou maudits, ni même sous la forme d'entités monstrueuses, mais au plus profond de l'être et de l'esprit humain !Et, ici plus que dans les autres oeuvres peut-être, la démonstration s'avère limpide et éblouissante : la création suprême ne peut s'affirmer, s'épanouir que dans le meurtre, le crime et l'abandon absolu à la part la plus sombre et la plus extrême de soi- même !

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