Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

samedi 3 mai 2008

Les Frissons de l'Angoisse (suite) : en profondeur !




LES FRISSONS DE L'ANGOISSE
(2)







Bien évidemment, et comme dans tout giallo, Dario Argento joue ici avec les clichés et les codes en vigueur mais les archétypes sont revus et corrigés.
A commencer par l'identité sexuelle de ses personnages.
Ainsi le tueur, interpreté au départ comme un homme (qui maquille ses yeux) se révèlera une femme (habillée de vêtements d'homme) ; Carlo, qui parle de son instrument comme du corps d'une belle femme, s'avère homosexuel (et son compagnon Ricci est, pour l'anecdote, joué par une femme !) ; Gianna est féministe, elle fume le cigare, drague ouvertement Marcus, joue (et triche) au bras de fer et sauve finalement par deux fois son compagnon (en lui téléphonant, tout d'abord, déstabilisant et empêchant le meurtrier d'assassiner Marcus; en l'extirpant, in extremis, de la villa en flammes, ensuite) ; et Marcus se révèle, au final, presque plus vulnérable et "féminin" qu'elle dans leur amusante relation ...

Les petites filles sont étranges, morbides et sadiques (la fille du gardien épingle des lézards ; et c'est sa fascination pour le dessin macabre qui permettra de progresser dans l'enquête) ;
la Police est grotesque, vulgaire et stupide et la Famille est stigmatisée comme responsable et source de folie (famille monoparentale de Carlo et du gardien de la villa ; meurtre du père ; schizophrénie et psychopathie de la mère...)


Et, bien entendu, rien n'est vraiment à sa place et là où l'on pourrait l'attendre ! (un arbre exotique des Canaries dans le jardin d'une villa italienne ; une fenêtre manquante sur une façade ; un cadavre emmuré dans une somptueuse demeure ; un dessin derrière une couche de plâtre ; une ronde enfantine comme préambule et leitmotiv de meurtres sauvages ; un parricide qui a lieu le soir de Noël ; une poupée mécanique et sinistre qui surgit à la place d'un tueur ; des oiseaux hors de leur cage ...)
Et, la figuration de l'assassin a souvent un côté surréaliste (une voix sans corps (chez Giordani) ; un oeil, en gros plan tournoyant, ou, dépourvu de corps lui aussi, détaché sur le fond ténébreux d'une penderie (chez Amanda Rigetti) ; des mains, gantées de cuir noir ; une silhouette tout à la fois stylisée, codifiée et totalement anonyme, dissimulée sous l'uniforme caractéristique du meurtrier giallesque...)


Et, à l'image de ce tueur, fétichisé, icônisé, les êtres et les choses semblent perpétuellement enfermés (corps muré, dessin caché, barreaux, grillages, portails et fenêtres fermés, voiture aux portières condamnées de Gianna...), les personnages continuellement enchâssés et inscrits dans des géométries soulignées, sur des décors aux formes pures qui délimitent toujours l'espace et les perspectives, figeant les protagonistes dans des suites constantes de tableaux (on ne se donnera même pas la peine de repertorier le nombre de fenêtres, de baies vitrées, de cloisons, de portes, d'arches..., comme autant de surfaces et d'écrans, devant ou derrière lesquels les personnages sont constamment mis en scène !)



Cette multiplicité si insistante n'est pas là par hasard !



Comme l'indiquait le titre original : "Profondo Rosso", Rouge profond, c'est bien du relief et de la profondeur qu'Argento veut nous parler.
Les profondeurs du champs, du plan et des images, celles des décors, des maisons, des miroirs, des surfaces..., suggèrant une traversée nécessaire des strates, des niveaux et des apparences, chaque image pouvant en dissimuler une autre.


Et, semblablement, l'itinéraire de Marcus ira de l'apparence, de la surface des choses (un long couloir, parsemé de portraits tourmentés, une illusion d'optique, une chanson enfantine entendue puis retrouvée, la photo d'une villa dans un livre ...) à leur matérialisation (la maison "hantée") puis à leur exploration, leur traversée, leur profondeur (le dessin et le cadavre cachés) et, finalement, de l'apparente culpabilité de Carlo à celle, réelle, de sa mère.



Le Mal venant toujours de l'intérieur et du plus profond !
De l'intérieur le plus secret des maisons et des appartements et de l'intérieur de soi (pressentiment, visions, folie, trauma, autodestruction...)
Ce mal qui s'insinue partout comme une sensation, une présence indéterminée (dans le théatre, durant la conférence de parapsychologie ; dans la Bibliothèque où Marcus consulte le livre (et déchire la page concernant la villa maudite) ; dans cette maison, elle-même, à-priori déserte et abandonnée, et pourtant pleine d'ombres et de mouvements sournois ; dans les appartements et les habitations des futures victimes (Helga, Amanda, Giordani ...) ; dans l'école ancienne et ténébreuse ...)

Ce mal que l'on sent, que l'on perçoit sans le voir.

C'est peut-être dans ce film que Dario Argento explicite de la manière la plus bluffante et la plus aboutie sa manipulation du spectateur, la démonstration éblouissante de la fausseté des apparences et de l'improbabilité de la perception.
"L'Oiseau au plumage de cristal" inaugurait déjà brillamment ce gout de l'illusion, proche de l'anamorphose, ce leitmotiv de l'indice visible (par le héro mais également par le spectateur !) et jamais perçu ; motif immédiatement ludique (et finalement profond) qui imprimera toutes ses oeuvres ou presque.


Marcus a assisté, depuis le pied de son immeuble, au spectacle de sa voisine hurlant derrière sa fenêtre, fenêtre que son corps, mortellement frappé, brise avec fracas.
Le héro se précipite sur les lieux du crime.
Avant d'atteindre le corps sans vie d'Helga Uhlmann, Marcus traverse un long corridor décoré de dizaines de tableaux, une enfilade de portraits sinistres.
Ce qu'il ne voit pas (et que l'on ne voit pas davantage, lors d'une première vision de l'oeuvre) c'est que, parmi ces peintures, dans un renfoncement du couloir, est accroché un miroir où se reflète nettement le visage de la meurtrière !

L'axe et le cheminement empruntés par la caméra, l'impulsion qu'elle induit au regard du spectateur, cet élan rectiligne qui exclut la lattéralité, l'agglutinement des visages représentés au long des peintures et l'unité chromatique de gris et de bruns, tout cela contribue à l'illusion et à la réussite totale du "truc".
L'assassin était donc là, dès le début, et même si, un peu plus tard (le tueur a déguerpi depuis longtemps !), une mémoire floue et indistincte poussera Marcus à exprimer son sentiment que quelque chose manque (un tableau ?) et que le couloir ("vidé" de la présence et du reflet du tueur) lui paraît changé, la supercherie ne trouvera son explication qu'au dernier moment.
Le flash-back rétrospectif finalement délivré, renverra le cheminement du héro dans le corridor selon un axe non plus dirigé vers le bout du couloir (et la recherche d'une victime agonisante) mais sur le côté (et la quête d'un assassin !)

La perception est toujours incomplète, imparfaite et subjective, et tout est non seulement question de point de vue, d'interet, mais également de connaissance, car ce n'est qu'après avoir traversé toutes les épreuves, les étapes, les différentes strates et surfaces des choses, des faits et de l'histoire que Marcus sera véritablement capable et digne d'avoir le bon regard et la juste (et presque trop tardive) perception de la vérité !
Cette perception incomplète du héro se renouvellera plusieurs fois.
Ainsi, lors de sa découverte effective de la villa abandonnée (grâce à sa photographie dérobée dans un livre sur les maisons hantées modernes) , Marcus met du temps avant de s'apercevoir que l'image (la photo) et la réalité divergent et que l'une des fenêtres manque sur la façade de l'édifice (celle de la pièce murée du crime initial).

Ainsi, est-il encore trompé lorsque, ayant fini par découvrir qu'un dessin réalisé sur un mur était dissimulé sous une couche de plâtre qu'il gratte de manière insuffisante, il interprête l'image comme le meurtre de l'homme par l'enfant alors que la partie demeurée cachée en modifiait totalement le sens :
c'est la mère qui avait tué le père et non pas le fils ! (mais cela, seul le spectateur peut le comprendre lorsque l'enduit s'effrite et qu'il délivre l'intégralité (et le véritable sens) du dessin. Marcus, lui, a déjà quitté les lieux).



















( à suivre ...)

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