Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

dimanche 4 mai 2008

Les frissons de l'Angoisse (fin): Giallo forever !
























LES FRISSONS DE L'ANGOISSE
(fin)



A cette perception constamment faussée de son héro,
Dario Argento oppose la perception extra-sensorielle, intérieure et "magique", de la médium.
Posant, dès le départ, les bases de l'intrigue et de l'enquête, la voyante a, malgré elle, vu et compris la nature et le passé du meurtrier et l'a démasqué sans même le vouloir.
Helga évoque d'ailleurs "une sensation, aiguisée comme la lame d'un couteau", on ne peut plus révélatrice de ce qu'elle subira deux scènes plus loin ! (elle sera lardée de coups de tranchoir !)

La perception réelle (et quelque peu ésotérique) qu'elle partagera d'ailleurs avec l'écrivain Amanda Rigetti (versée elle aussi dans la parapsychologie, et dans des interrogations plus "sensibles" et intérieures que sensitives et réduites), ouvre l'esprit à la vérité mais, hélas, également, et par là même, à la mort !



Le monde imparfait, subjectif, et soumis aux filtres des sens, forcément trompeurs, n'est pas préparé, n'est pas apte, à cette vérité !

C'est un monde d'apparences, de leurres et de surfaces, où les réalités n'ont finalement pour visages que ses multiples interets et ses mensonges.
Les visions et les perceptions "autres", qu'elles soient médiumniques, surnaturelles ou liées à l'alcoolisme ou à la folie (Carlo et sa mère), ne peuvent donc trouver d'issue que dans le meurtre ou le trépas.


C'est tout le meilleur de Dario Argento qui est mis en oeuvre dans "Les Frissons de l'angoisse".
On retrouve ou découvre ici tout ce qui fera sa singularité, son identité et son succès ; ce que l'on aimera ou détestera immédiatement, viscéralement et pour toujours.
C'est avec ce film que le réalisateur prouvera véritablement sa maturité et sa maitrise, à partir de là qu'il pourra tout se permettre.
Ainsi, ce gout si particulier et si équilibré des oppositions et ce mariage savant des contraires.
L'oeil (celui de la caméra subjective et manipulatrice ; celui tout-puissant et fétichisé de l'assassin ; ceux des fenêtres et des ouvertures de ces maisons, de ces façades, presque vivantes et humanisées ; l'oeil éteint et toujours grand ouvert des cadavres ...) et la "non-vue" (mauvaise perception des personnages ; insaisissabilité du meurtrier ; motif répété des ces protagonistes qui scrutent et cherchent du regard, qui se pressent derrière des vitrages et à la surface des apparences et auxquels échappent tous les détails les plus primordiaux ...) ;


Le petit et le grand (l'utilisation d'une micro-caméra pour magnifier et souligner en gros plans des détails ou des objets signifiants (les fétiches du maniaque...) ; les gros plans sur le magnétophone où se déroule la bande magnétique égrennant le "gimmick" de la funeste comptine ; l'alternance de compositions où les personnages paraissent noyés (et rapetissés) dans des décors vastes et vides, ou étouffés par les architectures, et le grossissement exageré du détail (les notes écrites sur une partition, les gouttes de sueur perlant sur un front, l'éclat rouillé des lames des couteaux ...) ;



L'Humour (la relation aigre-douce qui lie Gianna et Marcus ; la voiture de Gianna (un tas de tolles !) ; la Police caricaturale ; l'Alzeihmer (simulé ?) de la mère cinglée de Carlo ...)

et l'Horreur (les meurtres sanglants ; les blessures soulignées ; le sens du détail dérangeant (bouches bavantes et vomissantes des victimes qui agonisent ; tête écrasée par les roues d'une voiture ...) ; le cadavre "momifié" ...) ;



Le réalisme (l'environnement contemporain et familier (bistrots et galeries animés ; bureaux de la rédaction du journal où travaille Gianna ; marchés et rues pleins de vie ...)) et le Fantastique (l'assassin comme immatériel et protéiforme ; la maison "hantée" ; l'excès, la stylisation et l'illogisme des meurtres ; les atmosphères angoissantes ; l'artificialité de certains décors et figurants (le Blue bar) ; l'irruption de l'automate chez Giordani ...) ;


Des adultes-enfants (chamailleries perpétuelles de Marcus et Gianna ; policiers infantiles et incapables ; le tueur et tous ses "jouets" ...) et des enfants trop tôt muris (Carlo ; la petite fille du gardien ...) ;


Le vide et le plein ; le noble et le grossier ; le léger (un giallo codifié, les artifices de la mise en scène ...) et le sérieux, le profond : une réflexion sur la manipulation et le sens des images et sur les impératifs , les codes et les règles du cinéma, et leur détournement.

Ici, Dario Argento expérimente aussi son art du "clip", de la digression purement formelle et de "l'atmosphérisation" par la dissémination de séquences autonomes, de "spots" fulgurants, d'inserts visuels, essentiellement esthétiques et climatiques (les louvoiements de la caméra parmi les armes et les "grigris" du meurtrier, son oeil, ses mains ...) ou par l'étirement quasi-hypnotique de certaines scènes et situations (les déambulations de Marcus dans la villa au rythme de la musique lancinante des Goblin ; le meurtre d'Amanda Rigetti ; le "final" dans l'école ...)



Et la répétition des deux séquences-clé (L'énigme introductive qui émaille le générique de début : le décor d'une pièce, le soir de Noël, avec l'irruption de la comptine en fonds sonore, les ombres d'un meurtre, des cris et le gros plan d'un couteau ensanglanté qui tombe aux pieds d'un enfant - L'arrivée précipitée de Marcus dans l'appartement de la médium et sa traversée du couloir où est tapis l'assassin), répétition qui les relie d'ailleurs et ,à la toute fin du film, offrant un regard nouveau (axe différent ou élargissement du champs de la caméra) qui nous révèle enfin la vérité, la totalité du plan, les prolongements (les profondeurs), jusqu'alors cachées, des images initiales (rejoignant l'idée et le principe du dessin sur le mur de la maison, partiellement "exhumé" par Marcus, et donc mal interpreté, dont les prolongements (et l'intégralité) donneront un tout autre éclairage et la juste signification).


La fluidité du montage épouse celle d'une caméra qui ne cesse de glisser, de tournoyer, de s'insinuer partout, passant par les fenêtres, parcourant l'intérieur d'un piano, rebondissant sur les notes d'une partition, suivant les sillons d'un disque ou les déroulements d'une bande magnétique, montant et descendant, soulignant de son oeil morbide le sang qui perle sur un carreau de faïence, sur le corps encore frémissant, et percé d'une aiguille à tricoter, d'un oiseau, gouttant des lèvres d'un cadavre ou d'une bouche qu'on a fracassée contre les coins d'une table et d'une cheminée, stigmatisant sans cesse l'étrangeté, la poésie et la beauté vénéneuse de la mort.



De la même manière, l'intrigue déroule ses méandres avec une nonchalante et passionnante élégance, comme au rythme d'une promenade somnambule dont les ruptures de ton (pourtant parfois piquantes, brutales) et les détours marquants se dissolvent dans la même étrange et prenante harmonie !

Les renvois et les allusions, totalement digerés et intégrés, à Hitchcock ("Psychose", "Une Femme disparait" ...), à Antonioni ("Blow up", bien entendu, mais surtout cette insistance sur l'abstraction géométrique, la stylisation et la théatralité des cadrages et de la mise en scène), à Sergio Leone, à Mario Bava ou à Fritz Lang parsèment discrètement toute l'oeuvre.


Tout comme les références aux films précédents ( les trois gialli aux titres "animaliers" des débuts de carrière), cette réorchestration parfaite des images, des préoccupations, des méthodes déjà expérimentées et comme l'introduction des thèmes, des recherches et des orientations futurs.
Ainsi peut-on déjà interpreter le trio des parapsychologues du début du film comme l'amorce de celui des Trois Mères ("Suspiria", le film qui viendra ensuite, était d'ailleurs titré "Les Frissons de l'angoisse 2", lors de sa distribution dans certains pays) ; ainsi les explorations de la maison hantée préfigurent-elles celles de la maléfique TanzAcadémie ...


La bande originale des "Frissons de l'angoisse" est finalement signée par les Goblin (initialement choisi, Giorgio Gaslini n'a pas su répondre aux attentes d'Argento ; il ne subsiste qu'un thème de son travail ). Le film inaugurera une collaboration plus que fidèle et finalement toujours fructueuse et réussie. Le tout jeune groupe de "rock atmosphérique" propose des compositions qui rappellent le travail de Mike Oldfield ou de Tangerine Dream et impriment aux images éblouissantes et inquiétantes du cinéaste l'écho et le pendant, tout en même temps moderne et mélodieux, abstrait, épuré, obsédant et magique, que le film attendait.


Véritable étape dans la filmographie de son auteur, "Les Frissons de l'angoisse" s'affirme, par-delà un cinéma de genre auquel on a toujours réduit et limité l'oeuvre de Dario Argento, comme un sommet, un modèle, une référence (à réhabiliter vraiment !) du Cinéma avec un grand C.
Abouti, maitrisé, généreux, toujours harmonieux et direct, simple d'accès et immédiatement envoutant, ce chef-d'oeuvre se révèle l'une des meilleures introductions possibles à l'univers de son créateur.
Tout est là, brodé dans une passionnante et magnifique alchimie, "Rouge profond" effectivement, avec la suprême élégance de l'humilité en prime !

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