Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

samedi 10 mai 2008

Le Syndrôme de Stendhal (fin)




LE SYNDRÔME DE STENDHAL

(fin)



Car, pas plus que les personnages ne s'apprécient et ne semblent en paix avec eux-même, l'amour est, ici, absolument impossible.
L'acte physique et sexuel ne peut exister que par l'agression, le viol (et la mort) ou dans des configurations extrêmes, déviantes, cruelles et sadomasochistes.

Alfredo et Anna, pourtant liés, malgré eux, par leurs ressemblances et leur folie, ne peuvent vivre leur addiction mutuelle, cette attirance destructrice, que d'une manière avillissante, sordide et violente qui exclut, soumet et qui doit tuer l'autre.
Ils ne peuvent envisager leur relation autrement que comme un combat, un rapport de force aussi viscéral qu'irrationnel, un engloutissement, une dévoration et une assimilation de l'autre.




Jamais les rapports sexuels et amoureux n'ont été autant dénigrés par le réalisateur. Les femmes sont représentées comme des victimes hurlantes, des prostituées, des filles légères et vulgaires (la vendeuse) ou des mégères revanchardes (une ex-victime, une rescapée ...), sans parler de cette héroïne frigide et malade !


Les hommes, pour leur part, s'affirment comme des bourreaux égocentriques, comme des fous dangereux, des imbéciles ou des innocents, victimes en puissance ; et les prétendants d'Anna sont ainsi violés (elle reproduit sur le (trop) gentil Marco l'agression qu'elle a subie), frappés (comme l'ami avec lequel elle boxe avec un acharnement aveugle) et finalement éliminés (Marie, Marco (mais également Alfredo et le psy.))


L'amour paternel (et filial) se révèle, dans la même veine, mutique, insatisfaisant, presque autiste et la famille est dépeinte, une nouvelle fois, comme dépourvue d'affection et de dialogue (Anna a vraisemblablement fuit Vitterbo et sa famille sévère et étroite, cette famille monoparentale, ces frères à l'esprit borné ; Alfredo, de son côté, cache sa véritable nature à sa femme et à ses enfants ...)

Et lorsque Anna découvre l'amour auprès de Marie, son "moi" profond, contaminé par le Mal et la destruction, ne peut concevoir et supporter l'hypothèse d'une relation partagée, saine et normale : elle ne peut que le tuer !

La famille et l'Enfance, probablement au coeur et à l'origine des troubles et des fragilités d'Anna, ne sont jamais explicités, mais ponctuent, en pointillés, tout l'arrière-plan de l'oeuvre.
On apprend que la mère d'Anna est morte ; qu'elle était, elle-même, une artiste.
On comprend que des drames ont frappé cette famille engluée dans le silence, les non-dit et l'absence et l'incapacité de chaleur et de tendresse.



A Vitterbo, Anna est finalement renvoyée à la solitude de sa chambre pleine de poupées et de peluches, ramenée à la position foetale et autoprotectrice d'un embryon ; à Rome, elle suscitait déjà les rapports paternalistes de ses collègues et de ses supérieurs (son chef, son amoureux Marco, son psy. ...)


A la fin, elle ressemble d'ailleurs davantage à une fillette sauvage, hagarde et paumée, qu'à une garce psychopathe !
Anna est toujours demeurée une petite fille, une enfant, que la violence et l'horreur du monde ont bouleversée et totalement aliènée.


La réalité s'avère effectivement sinistre et monstrueuse ; et, dans cette oeuvre, Dario Argento ne magnifie jamais la mort.
Son héroïne a choisi un métier dur, dangereux et possiblement impressionnant : le spectacle des méfaits, des crimes et des meurtres ne peut laisser personne insensible...



Et, ici, les femmes sont violentées sans mise en scène ni préambule, dans des entrepôts, des ruelles, des bunkers, dans l'habitacle d'une voiture, violées sur des matelas pourris, frappées, méprisées, torturées ...
Elles hurlent, mordent, souffrent et se débattent en vain !
Une balle vient figer leur cri.

Tout cela transpire une horreur crue, brute, au réalisme malsain et agressif, en opposition totale à l'envoutante expérience des manifestations du Syndrôme de Stendhal et à la beauté, sans cesse exhaltée, célébrée, des oeuvres d'Art.
Pourtant, la femme dont Alfredo troue le visage d'une balle fatale, la fige dans une pose qui peut rappeler les statues et le sang de Marie, celui du psychiatre, qu'Anna préfère finalement à ses tubes de peinture, jaillit sur les murs et les sculptures comme une création artistique à part entière...
L'Art et le meurtre se confondant encore et continuellement !


Il n'est, d'ailleurs, ni innocent ni gratuit qu'Anna en arrive à crever l'oeil d'Alfredo !
C'est à la fois l'image qu'il a d'elle et sa propension à apprécier anormalement les oeuvres d'Art(comme elle) et à se laisser impressionner par leur grandeur, leur énigme, leur beauté (qui n'a plus lieu d'être, vu l'horreur de ce qu'il lui fait vivre !), que la jeune femme crève, élimine et détruit.


Dans "Le Syndrôme de Stendhal", comme dans la plupart des films qui suivront, Dario Argento adopte une mise en scène "apaisée", limpide, mature et claire.
Les orientations amorcées depuis "Trauma" jouent la carte d'une fausse simplicité.
Pas de couleurs rutilantes et tappe-à-l'oeil, plus de mouvements de caméra accrobatiques et mémorables, l'expérimentation et les singularités passent désormais davantage par le récit lui-même.
Et le réalisateur a la bonne idée de ne pas gâcher les trouvailles et l'originalité de son histoire par des effêts de mise en scène trop chargés.
Lorsque Anna plonge dans les tableaux, Argento joue davantage sur l'épure et les symboles que sur la démesure ; et c'est justement la réalité de ces états et de ces dimensions "autres" qui déstabilise.


Bien sûr, il ose une vue, ouvertement artificielle, de cachets qui descendent dans la gorge de son héroïne (image de synthèse clairement identifiable en tant que telle) ;


Bien entendu, la caméra se fait tout de même remarquer lorsqu'elle choisit des angles et des points de vue sensibles et plongeants ou quand elle figure le "flottement" intérieur d'Anna en se mettant à tanguer un instant ...;


Mais l'ensemble du métrage travaille bien davantage dans la finesse et une cohérence des motifs, des détails, des décors et des renvois constamment liés aux perceptions et aux "états" successifs du personnage principal :
Les profondeurs étranges des peintures botticelliennes (Anna ressemblerait presque, au départ, à l'une de leurs figures) cédant la place à l'agressivité et à la crudité de graffitis et de tags (Anna s'est alors endurcie, renfermée, masculinisée et elle ne vit plus qu'un interminable cauchemard) puis, à la feinte normalité d'une joyeuse promenade à mobylette dans les avenues de Rome, à celle d'un parc plein d'animaux et de couples enlacés où l'on croit redécouvrir l'amour et au hiératisme des "académies" de plâtre blanc des salles d'études du musée, en fin de compte souillées de sang, pour finir par le Labyrinthe d'arrières cours, d'escaliers, de couloirs, de passages et de jardins clôts en enfilade, parcourus par une héroïne définitivement perdue, submergée et complètement folle.


Le directeur de la photographie, Guiseppe Rotunno, fixe avec brio le mélange troublant de beauté, d'étrangeté et d'effroi distillé par les oeuvres, les peintures, les sculptures ...
Les couleurs jaillissent sans surlignage, avec peut-être tout de même une prédominance des rouges, des blancs et des verts ...


Si les effêts spéciaux s'avouent souvent, et finalement, poétiquement voyants, lisibles et, somme toute, presque rudimentaires, ils contribuent justement au trouble et à l'onirisme, éminemment surréaliste, qui marque toute l'oeuvre.



Et l'effêt le plus marquant, en dehors de l'intrigue elle-même, réside peut-être dans la beauté envoutante et tenace de la bande originale concoctée par Ennio Morricone : ce thème obsédant, basé sur des formes anciennes et classiques, décliné sur des modes, des rythmes et dans des accompagnements divers, le plus souvent par une voix blanche et plaintive d'enfant de choeur, qui s'imprime en leitmotiv, à la fois beau et infiniment triste ... ; ces bruits, ces murmures et ces chuchotements qui dramatisent et matérialisent la fausse fixité des tableaux et des statues.

Dario Argento a une nouvelle fois créé un "objet filmique" aussi marquant, intrigant et unique que dérangeant, mélancolique et très personnel.
Les thèmes et les obsessions du cinéaste sont toujours là, mais totalement remaniés, retravaillés et poussés jusqu'à l'exagération, la logique et la rigueur les plus absolus.

Une fois de plus, le réalisateur marque un nouveau virage, un pallier.



Retour aux sources (l'Italie, l'Art, la Folie ...), en même temps élégiaque, flamboyant, déroutant et aussi tranchant et sec que singulièrement simple et humaniste, "Le Syndrôme de Stendhal" trouble infiniment ; plus pour la finesse de son regard et de ses détails, par sa tristesse incommensurable et davantage par le déroulement aussi inexorable qu'impitoyable de son intrigue que par ses partis-pris spectaculaires ou grandiloquents.

Au fil de ses oeuvres et d'une carrière toujours passionnante, Dario Argento s'affirme, définitivement humble, toujours cohérent, comme l'artisan revendiqué d'un cinéma adulte et responsable, toujours aussi respectueux de ses propres désirs que de la réceptivité et de l'intelligence d'un spectateur qu'il ne sous-estime jamais !
Merci !




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