Attention, spoilers !

La plupart des critiques et des développements proposés dévoileront des indices et des informations qui pourraient fausser l'effêt de surprise et révèler les dessous et les résolutions des oeuvres citées ...

A bon entendeur ...


Que cela ne vous empêche pas de me visiter, de me lire et de me laisser vos remarques.

vendredi 9 mai 2008

Le Syndrôme de Stendhal 2 : reflets troublants



LE SYNDRÔME DE STENDHAL (2)




L'hypersensibilité d'Anna, confrontée aux beautés monstrueuses des oeuvres, débouche sur cette perte de conscience, cet abandon d'une réalité pour une autre, sur cet état qui confine en même temps à l'hypnose, à la transe et à une retour sur soi presque psychanalytique.
Anna est, de toutes façons, représentée dès la début comme une jeune femme blessée, dépressive et en quête perpétuelle de quelque chose (d'un meurtrier mais surtout d'elle-même !).

La fragilité, la sensibilité, l'insécurité qui la caractérisent se feront le terreau idéal pour que ses traumas successifs s'enracinent et finissent par éclore en schizophrénie et en folie meurtrière.



Ainsi l'aliénation va-t-elle creshendo.
De simple vulnérabilité, elle passe à la manifestation dérangeante et répétitive d'un trouble psychiatrique (et "artistique"), Le Syndrôme de Stendhal, vite aggravé lui-même par le traumatisme d'un viol (assorti de celui du spectacle, en direct, d'un assassinat !) et par les sentiments paranoïaques, autodestructeurs et dépressifs qui en découlent, pour se répercuter dans une forme d'autisme.

Pour finir, le recommencement des viols et des sévices, clôturé par le choc ultime de l'élimination violente et laborieuse du psychopathe, ne font qu'enfoncer Anna encore davantage !
Et si le Syndrôme disparait enfin, ce n'est, hélas, pas parce que la jeune femme est guérie, mais plutôt parce qu'elle est complètement "perdue"!
Son esprit a totalement déraillé ; elle a pris le relais du tueur en lui donnant la mort, et s'est, désormais, complètement identifiée à lui.
Anna a finalement réussi à combler le vide qui la caractérisait et la tourmentait en absorbant l'identité de son persécuteur.
De victime, elle est devenue bourreau ; sa passivité a cedé la place à la réaction ; sa sensibilité exacerbée et gènante, à l'expression et à la création la plus jusqu'auboutiste, la plus folle (la plus argentesque aussi) : le meurtre.



Et le personnage d'Alfredo n'était-il pas d'ailleurs que le prétexte à cette découverte implaccable et extrême de soi-même, l'initiateur, le déclencheur de cette folie, larvée tout d'abord, et finalement totale et incontrôlable ?
La folie d'Alfredo va effectivement contaminer l'héroïne.


Mais, là où le meurtrier semblait maitre de ses actes, capable d'adopter une apparence irréprochable (femme, foyer, enfants, situation..., une certaine allure (un brin aryenne !) et un physique plutôt séduisant ; et ce gout, cet attrait (maladif)pour l'Art, dénotant une certaine culture et de la "sensibilité"...) tout en se révélant profondément désaxé, pervers et dangereux , là où il s'avérait toujours intelligent, manipulateur, volontaire et "conscient" de sa schizophrénie, finalement gerée et assumée dans toute son horreur, Anna, elle, vivra les choses très différement et apparement toujours dans la douleur, la peur et presque malgré elle.

Elle demeurera une sorte de receptacle qui accueille, absorbe et subit les émotions jusqu'à l'implosion.

Plus Anna va "entrer" dans sa folie, plus elle va se transformer :
Jeune femme gracile, à la sensualité inquiète, au départ, elle va se durcir après sa première confrontation avec le maniaque, refusant toute trace de féminité, coupant ses longs cheveux, adoptant des tenues et une attitude masculines et aggressives ;
Après la mort de son tortionnaire, elle se métamorphosera en une créature blonde faisant songer tour à tour à une femme fatale (perruque platine, lunettes noires, cigarette, sensualité mystérieuse ...) et à l'Alice de Walt Disney (petite fille à robe bleue), pour un mélange aussi désarçonnant que révélateur !
Le papillon qu'Anna observe, posé sur le mur de sa chambre, marque symboliquement cette transformation.

Et aux transformations de l'individu correspondent les transformations de sa perception et celles de l'espace qui l'entoure : Perception de mondes autres que la réalité, qui possèdent leurs réalités propres (la profondeur des peintures se faisant l'écho de celle de l'Inconscient, de la mémoire ou des refoulements ; l'écho des profondeurs d'un esprit dérangé, schizophrène, à la double personnalité, capable de tuer froidement un amant pour le pleurer avec un désespoir sincère dans l'instant qui suit ...


Le monde d'Anna, tout d'abord celui, dur, masculin, cru, d'une jeune inspectrice opiniâtre et courageuse, va de plus en plus perdre ses contours, ses limites, partagé entre le rêve, la sensation et la matérialisation de bouleversements et de chocs psychologiques répétés, pour déboucher sur un dédoublement incontrôlé et pathologique de la personnalité.


Ainsi, Anna devient-elle en même temps le tueur et sa victime, évoluant dans l'esprit, dans la peau et l'univers de l'un et de l'autre de manière concomitante.
Tout comme les oeuvres d'Art se veulent la transmission, la perpétuation, l'immortalisation de l'esprit des artistes, Alfredo survit, en quelque sorte, à l'intérieur de la jeune femme qui perpétue, continue son "oeuvre"(meurtrière).
La vie ne se révélant, après tout, qu'un acte desespéré et viscéral de création, de reproduction et de transmission !


Laisser une trace à tout prix et de la manière la plus éclatante, voire la plus radicale, voilà ce qui importe !
Par l'Art (c'est le cas des peintres, des sculpteurs, des créateurs...)ou par le meurtre (comme Alfredo ...) ; Anna ne se faisant constamment que la toile vierge et sensible où les uns et les autres viendront imprimer leur marque.

Alfredo, le maniaque, en prendra véritablement l'habitude et cela dès le début et leur première confrontation : lorsqu'il l'agresse dans sa chambre d'hotel, il tranche la lèvre de la jeune femme avec une lame de rasoir ;


Plus loin, alors qu'il l'a à nouveau soumise, il caresse (et entaille) le visage d'Anna avec une même lame.
Cette marque de la blessure qu'elle s'évertuera à dissimuler sous une perruque blonde (comme était blond Alfredo !) correspondra aussi à l'empreinte totale et insurmontable que le malade a laissé à jamais en elle et à son identification à ce bourreau.

Ainsi Anna se montre-t-elle continuellement marquée (tant physiquement que moralement) et influencée par les personnages, les événements et par ses traumatismes, comme elle marque, par ses changements physiques radicaux, les modifications successives de sa personnalité.


Et le mimétisme s'opère systématiquement, avec une rage (auto)destructrice : quand on la blesse, Anna répond en s'automutilant ; quand elle est violée, elle reproduit l'agression sur son collègue et prétendant ; à force d'être témoin de meurtres et de violences, elle finit par tuer elle aussi ...






Anna est perdue.
Dès les premières images du film, on la voit d'ailleurs inquiète, fragile, déjà quelque peu errante et fébrile, au milieu de la foule florentine.


Elle se jette au devant des choses et des événements dans une sorte d'abandon, une sorte d'inconscience, pour finalement les subir et s'y engloutir avec pour seule "arme" sa sensibilité.

La Plongée, comme motif répété de cette oeuvre, symbolisant autant l'innocence, la fragilité et le vertige d'Anna que cette faculté perpétuelle, offensive, mais finalement vulnérabilisante, de toujours s'immerger (et se laisser submerger) dans et par tout.

La jeune femme plonge dans l'enquête et dans le piège que lui a tendu le malade (Alfredo lui a donné rendez-vous aux Offices en se faisant passer au téléphone pour une femme, via un gadget qui modifie la voix) comme elle plonge dans le tableau de Brueghel et dans les oeuvres d'Art, puis dans la folie, le crime et l'horreur.

Et l'image effective de cette plongée revient régulièrement :
Regard qui plonge dans les peintures ; Anna qui plonge dans la mer ; cachets, avalés par l'héroïne, suivis en vue subjective dans leur plongée dans l'oesophage et le corps de celle-ci ; évanouissements successifs ; corps d'Alfredo, jeté dans la rivière ; oeil crevé par un doigt ; visage troué et traversé de part en part par une balle ; gouffre de la bouche ouverte et hurlante des victimes et de ce tableau peint par Anna ; (contre)plongées de la caméra du réalisateur...



Et, à cette figure récurrente, vient s'ajouter celle, complémentaire, du motif de l'Eau et de l'élément liquide ; cette eau toujours liée au Mal et à sa propagation chez Dario Argento :
L'Arno et le Pontevecchio qu'Anna observe par les fenêtres du musée avant de sombrer dans la mer icarienne de Brueghel ; la cascade d'une fontaine, peinte elle aussi mais désormais réelle, derrière laquelle la jeune femme vient se réfugier un instant ; la pluie qui tombe, et l'eau qui coule des robinets des lavabos et des baignoires ; les rivières qui ruissellent ; celle, multipliée en canaux, où vient se perdre le corps du meurtrier ; le sang qui coule sans cesse : des lèvres et de la joue entaillées d'Anna, de ses mains et de ses ongles qu'elle blesse volontairement ; le sang qui gicle sur les murs et les statues ; le sperme qui suinte des murs taggés d'une cachette (un réservoir !) ; la sueur qui perle sur le visage et le torse d'Alfredo ; Tous ces liquides qui se déversent, qui pissent, transpirent, où l'on se reflète (comme ce verre de vin dans lequel Anna se mire, ce verre qu'elle brise et répand et dont elle se blesse presque exprès !)

Ces miroirs et ces surfaces dans lesquels la jeune fille ne cesse de scruter ses transformations et ses états successifs : A la Galerie des Offices, elle se reflète dans "Le Printemps" de Botticelli ; après son malaise, elle se jauge, inquiète, fébrile et amnésique dans le miroir des toilettes ; puis, c'est le reflet d'Alfredo, dans la vitre remontée d'un taxi, qui vient se superposer sur le sien (figurant déjà leur emprise mutuelle et l'identification pathologique d'Anna au malade) ; un peu plus tard, dans sa chambre d'hotel, c'est dans "La Ronde de nuit" que les deux personnages se reflètent côte à côte et que la jeune femme prend conscience de la présence du criminel auprès d'elle ; après son viol, Anna s'observe à nouveau dans un miroir devant lequel elle coupe ses longs cheveux et dit adieu à sa féminité haïe ; l'image d'Alfredo est refletée dans la balle qu'il décoche et dont il achève une vendeuse trop imprudente ; après sa deuxième (et ultime) "rencontre" avec le maniaque, Anna, retrouvée par la Police, observe la blessure (la marque) qu'elle gardera sur la joue dans une petite glace ronde ; plus loin encore, elle se maquille et met sa perruque blonde devant le miroir de sa salle de bain, alors qu'elle vient d'assassiner son psychanaliste et qu'on ne cesse de sonner et de tambouriner à sa porte ...


La musique, composée pour le film par Ennio Morricone, se fait de la même manière le reflet répété d'un même motif, obsédant, lancinant et superbe.

Et toute l'intrigue repose finalement sur cette figure thématique du reflet :
Reflet des images qui marquent, s'ouvrent et prennent vie ; reflet et influence de l'autre (et des autres : la société, l'environnement professionnel, la famille...) ; reflets renvoyés par les liquides , les surfaces vitrées, vernies, les miroirs ...

Chacun de ces reflets, chacune de ces vérifications de l'image de soi, éloignant , au final, à chaque fois un peu plus le personnage de lui-même !
Ainsi, plus qu'une observation narcissique, le reflet se fait, ici, représentation, création, manifestation "autre" de soi.
Anna se perd dans les images successives qu'elle se fait d'elle-même tout comme elle se perdait dans les oeuvres d'Art.
Et le reflet, l'image (tout comme l'eau) renvoie constamment au Mal qui s'insinue, qui gangrène, qui métamorphose, à ses manifestations (les marques et les transformations) et à ses incarnations (Alfredo).




(à suivre...)

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