



LES FRISSONS DE L'ANGOISSE

Marcus Daily, un pianiste de jazz, est témoin du meurtre de sa voisine, une médium réputée. Lors d'une conférence, celle-ci avait senti la présence de son assassin dans la salle et en avait été bouleversée.
Devenu la nouvelle cible du mystérieux tueur et flanqué de la journaliste féministe qui l'a involontairement placé en ligne de mire, Marcus va se prendre au jeu de l'enquête.
Une maison "hantée" recelant de lourd secrets, une comptine pour enfants, un ami pianiste et looser, une femme écrivain et un sinistre dessin de gamin, vont tour à tour le guider vers la résolution finale.
Une maison "hantée" recelant de lourd secrets, une comptine pour enfants, un ami pianiste et looser, une femme écrivain et un sinistre dessin de gamin, vont tour à tour le guider vers la résolution finale.
Une fin "à tiroirs" mettant brillamment en scène le motif, argentesque par excellence, de l'indice mal perçu.
Ici, Marcus avait vu le meurtrier sans s'en rendre compte, dès le départ, et le tueur n'était finalement pas celui que l'on pensait !
Elégant, ludique, troublant, habile et rythmé, "Les Frissons de l'angoisse" se révèle comme l'une des incontestables réussites de Dario Argento, un giallo magnifique, teinté de fantastique et de références à l'Art et à la Psychanalyse.
Tout à la fois palpitant, étrange, horrifique, amusant et superbe plastiquement, le film s'affirme peut-être comme l'un des plus fluides, des plus immédiatement aboutis de son auteur.
Ici, le scénario, les dialogues, les ambiances, les images et la musique sont également impeccables et tout concorde et se marie admirablement !
D'ailleurs, bien qu'inévitablement datée, l'oeuvre n'a pas pris une ride et conserve intacts ses aspects intrigants, modernes et envoutants.
Tout débute comme dans un album de Tintin :
Un trio de parapsychologues sur la scène d'une salle de théatre au vermillon éclatant ; une médium allemande qui fait la démonstration de ses pouvoirs ... ; et puis soudain, l'incident : sa vision et sa reconnaissance d'un (du) meurtrier.

La caméra subjective se réfugie avec l'individu démasqué dans des toilettes insalubres où les miroirs piqués de rouille et de crasse ne renvoient que son ombre.
L'image de ses gants de cuir noir dont il remonte la fermeture nous fait basculer illico dans l'univers du Giallo. Un giallo "haute-couture"et hyper-stylisé !


Deux minutes plus loin, la caméra virtuose, serpentant le long de gros plans sur des jouets, des poupées, des figurines sinistres et des fétiches étranges, et terminant son chemin sur le coutelas "icônisé" du tueur, puis sur son oeil sombre, cerné de traits de crayon noir, tout cela au rythme hypnotique de la mélodie des Gobelin, confirmera, dès le départ, l'aspect déroutant, esthétisant et novateur de cette enième incursion giallesque.



En effêt, depuis "L'Oiseau au plumage de cristal", l'oeuvre inaugurale de Dario Argento, le thriller italien pervers et ludique a été décliné à l'excès et presque jusqu'à saturation !
"Les Frissons de l'angoisse" se fait en même temps la quintescence, la conclusion et la réinterpretation de ce genre qui paraissait à bout de souffle. Le cinéaste y démontre la maitrise et l'expérience qu'il a acquises en seulement quatre films tout en y insufflant l'orientation onirique et davantage tournée sur l'abstraction, la psychanalyse et le Surréalisme qui va caractériser ses oeuvres suivantes.
C'est d'ailleurs véritablement avec ce film qu'Argento affirmera son talent et ce qui fera sa renommée : ce mélange savamment dosé de notions à-priori contradictoires, du beau et du repoussant, du vulgaire et du cérébral ... et qu'il entremèlera au mieux les motifs et les thèmes qui l'obsèdent : l'Enfance, la folie, l'apparence, la perception, la mort et l'Art (et la mise à mort comme une oeuvre d'art à part entière !)
A l'époque du film, Dario Argento peut encore croire en la magie du cinéma ; celui que l'on nomme 7ème Art n'est effectivement pas encore devenu le jeu impitoyable et conditionné de la consommation.
Et dans l'oeuvre, justement, l'Art est partout décliné, célèbré.
Ne serait-ce qu'au premier niveau des références qui parcourent tout le film.
Giorgio de Chirico pour ces places vides, désertes, aux perspectives et aux géométries de décors de théatre, où le temps semble figé, les personnages noyés et dérisoires, les faits et les actions dramatisés...



Edward Hooper pour la citation sans détours du "Blue Bar" aux côtés, eux aussi, totalement théatraux, figés, très atmosphériques et artificiels...


Munch et l'Expressionnisme le plus morbide dans les tableaux "douloureux" de l'appartement d'Helga.





Les volutes, les stucs et les ornements très "Art Nouveau" de la superbe villa.



L'école "Léonard de Vinci".
La salle de conférence du commencement qui préfigure les opéras et les théatres des oeuvres à venir.

Les photos de tournage de la mère de Carlo, ex-actrice (et actrice réelle et reconnue : Clara Calamai).







Bon nombre des protagonistes font d'ailleurs partie du monde artistique (à commencer par le héro : pianiste et compositeur, tout comme son ami Carlo ; actrice ; ecrivain ...)
Et c'est par le dessin que les enfants expriment leurs obsessions ou leurs traumatismes, par l'écriture (musicale, littéraire ou journalistique...) que les personnages expriment leurs sensibilités, leurs croyances et leurs convictions.
L'assassin se révélant, lui-même, un artiste à part entière !
N'est-il pas totalement assimilé à une peinture, un autoportrait, lorsque, dissimulé parmi les tableaux du couloir d'Helga Uhlmann, il échappe à la vision de Marcus (et à celle du spectateur) ?
Et puis, les mises en scène de ses meurtres n'en font-elles pas finalement un véritable créateur ? (la musique (une comptine aussi agaçante qu'angoissante) comme prélude (et mise en condition) ; l'intervention et l'irruption sinistre et funeste de poupées, d'oiseaux ou d'automates comme diversion et avertissement ; les tabassages et écrasements préalables à la véritable mise à mort et à l'achèvement ...)






Et la mort, elle aussi, est figurée et esthétisée comme (ou par) un bijou (ce "collier" d'éclats de verre brisé, fiché dans la gorge d'Helga ; la décapitation finale du meurtrier par son collier d'acier tranchant) ou comme une oeuvre d'Art morbide (un dessin d'enfant reproduisant le meurtre du père par la mère ; la forme d'un corps détourée au ruban adhésif sur le sol d'une salle de bain ; une sculpture atroce (le cadavre momifié et emmuré du père) ; Giordani que le meurtrier "cloue" à son bureau d'un coups de cimetère dans la nuque, comme on épingle un papillon ...)





Car ce qui importe, finalement, c'est laisser une trace, c'est transmettre.
Transmettre une information ( Gianna est journaliste ; le téléphone, comme outil récurrent de la communication...) ou un indice (Ainsi, Amanda, l'écrivain, a-t-elle le temps de tracer de son doigt le nom de l'assassin sur le mur carrelé et embué de la salle de bain ; ainsi, Helga Uhlmann note-t-elle tout ce que ses prédispositions médiumniques lui ont permis de découvrir ...)
Transmission créatrice (la composition musicale pour Marcus ; le livre écrit par Amanda Rigetti ; le(s) dessin(s) d'enfant ...) ou exhutoire (l'enfant qui a reproduit sur le mur de sa chambre le dessin de la scène traumatisante (le parricide) dont il a été témoin).



La transmission de la filiation et celle de la culpabilité qui lie le fils (Carlo) à sa mère...
Laisser une trace ; comme pour empêcher, pour conjurer, la mort inexorable ; l'enquête dans laquelle se jettent les héros, figurant finalement cette lutte essentielle et désordonnée de la vie, se faisant le symbole d'une course contre une fin (toujours) trop tôt programmée ; une course dont les étapes seraient ces signes et ces indices marqués, laissés, transmis par les autres ...
Le meurtrier, de son côté, singéniera d'ailleurs à dérober, masquer (le dessin sur le mur couvert d'enduit ; le cadavre emmuré ...) ou à empêcher cette divulgation.

Sa lutte et son élan de vie à lui passant obligatoirement par le meurtre !


(à suivre ...)
1 commentaire:
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